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Le blog de la CLE

A propos des émeutes

22 Novembre 2007, 22:39pm

Publié par CLE

L’ŒIL DE L’EXPERT - Malick Ndiaye analyse le plan d’opération des jeunes commerçants : Le génie organisationnel de Sandaga ; l’affront des syndicalistes
Rien des plans d’opération et des méthodes d’organisation en matière de luttes syndicales et politiques ne sont étrangères au sociologue, Malick Ndiaye. Lui qui a connu bien les tempêtes de révoltes estudiantines auxquelles il a participé dans le passé et qui a souvent initié avec le Comité des intellectuels sénégalais (Cis) des manifs. Il promène son œil d’expert sur la manifestation hier des jeunes commerçants, pour parvenir ensuite à une conclusion stupéfiante de pertinence : hier, le génie organisationnel de Sandaga a supplanté la prétendue rationalité de syndicalistes qui ont subi une humiliation retentissante.
Le regard perçant et perspicace du sociologue Malick Ndiaye s’est promené sur la stratégie déployée hier, en différents endroits du centre-ville de Dakar, par les jeunes commerçants déguerpis du marché Sandaga et environs. C’est pour constater que ceux-ci ont utilisé «une stratégie de guérilla urbaine, un plan d’organisation consistant à partir du centre vers la périphérie», avec «des expressions latérales». Malick Ndiaye souligne qu’«en langage syndical classique, ça s’appelle un plan d’opération à partir d’une cartographie bien nette». Loin de la spontanéité «qui détruit tout sur son passage», ce mouvement «est conscient et sélectionne». En effet, pour M. Ndiaye, il y a une clarté et une rationalité dans l’itinéraire suivi par les manifestants, et «qui est allé de Sandaga vers les quartiers populaires et de façon progressive et cumulative avec des points forts, notamment aux Allées du Centenaire». Par la suite, fait-il remarquer, «il y a un phénomène de diffusion et de dispersion au niveau de la Médina : marché aux poissons, Senelec et mairie de ce quartier». Malick Ndiaye, relève, sur la base de son observation personnelle, des témoignages des médias, aussi bien à Castors qu’à Grand-Yoff, que «tout laisse à penser que la composition de ces groupes n’est pas seulement faite des commerçants de Sandaga, car il y a probablement un phénomène de banlieusards, qui n’est pas dakarois et qui a donné libre cours à une frustration des périphéries».
SANG FROID
Vu sous cet angle, ce mouvement-là se pose en véritable interlocuteur pour tout le monde, «parce qu’il est capable de penser, d’avoir une stratégie, de se faire entendre et parmi les cibles qui pourraient être touchées par inadvertance, les biens publics ont été épargnés». Mais, pour le sociologue, «ce qui est contradictoire, c’est que ce sont les commerçants de Sandaga qui ont réussi au nez et à la barbe des Renseignements généraux à appliquer un tel plan». Et d’en déduire qu’«il y a des raisons de penser que le mouvement syndical a été désorganisé dedans, tandis que les troupes de Sandaga ont pu planifier leur action». Il y a chez ces gens qui ont refusé de partir en mer «un sang froid et une maîtrise du phénomène organisationnel qui est peut-être une compétence des Daaras (écoles coraniques)», analyse M. Ndiaye. «Il y a une logique des Daaras où on apprend la méthode, la planification des actions et la discipline dans l’exécution d’un plan, alors que ceux qui sont à la tête des syndicats n’ont pas cette capacité.» Malick Ndiaye parle d’un «nouvel acteur qui surgit et demande aujourd’hui à ce que les sacrifices de la jeunesse, qui ne veut pas aller mourir dans l’océan, soient reconnus par la naion». Il est persuadé que ces jeunes ne sont pas des bandits ; ce sont des esprits organisés que l’on ne retrouve pas même au niveau des jeunesses des partis politiques. D’ailleurs, relève-t-il, «si on le compare avec les activités à l’époque des jeunesses du Pds, des Modou Diagne Fada, des Diattara à Thiès, on n’avait que de petites bandes qui circulaient et brûlaient des pneus et ça allait dans tous les sens».
LE TOURNANT
«Il y a un tournant dans la situation nationale et le pouvoir ne peut plus se contenter aujourd’hui des conseils bidon de l’entourage du Président, des faux débats sur la succession à Wade, ces questions-pièges de l’Assemblée nationale. Maintenant, tous les corps intermédiaires ont été démolis par Wade. Les marabouts ont été couchés et mouchés ; les sociétés civiles sont en déroute ainsi que les partis politiques de l’opposition qui viennent de réaliser leur faute, et s’engageront sans doute dans les locales.» Après ce constat, Malick Niaye en conclut qu’«à partir de ce moment, le pouvoir central est directement face à la masse que personne ne contrôle». Comme quoi, «le Sénégalais est patient, parce qu’il est organisé». M. Ndiaye se demande si ce n’est pas là l’effet des Dahiras, des Mbotaay ou des organisations, des solidarités de réseaux. «Est-ce que ce n’est pas une révolte de l’informel qui est éminemment bien organisé ?», s’interroge-t-il. Avant de noter que «l’informel, c’est la supériorité du réseau sur les appareils d’Etat et de partis». Résultat : la police de Wade habituée aux appareils organisés, mais pas aux réseaux interconnectés, a été prise de cours. Un groupe est devenu un acteur, face à une Unacois «assagie et affaiblie par les divisions». Pour Malick Ndiaye, «la pépinière aujourd’hui qui reproduit en permanence le mouvement Modou-Modou s’est soulevée et elle a été au centre de l’actualité nationale alors que tout le monde attendait la marche de l’après-midi».
METHODE
Méthodique, usant de techniques de lutte consommée, la manif des jeunes déguerpis est d’un «degré d’organisation» sans commune mesure avec «l’attitude navrante du mouvement syndical» dans l’après-midi hier. Elle fait effondrer «la rationalité moderne exprimée dans les syndicats». Comme s’ils étaient impréparés, sans plan d’organisation, de communication, «les syndicats semblent avoir opté pour une fuite en avant» pour se réfugier au siège de l’Unsas, laissant les troupes pendant près de deux heures sur le théâtre des opérations. C’est en tout cas le sentiment du Pr Malick Ndiaye. Pour lui, «c’est comme si Sandaga avait plus de génie organisationnel et de méthode que le mouvement syndical». Vu sous cet angle, il considère que la marche avortée des Centrales syndicales est une faillite, mais aussi «une défaite organisationnelle». Pour M. Ndiaye, elles ont même fait moins que le Comité des intellectuels sénégalais (Cis) qui «a toujours tenu ses objectifs, que les manifs soient autorisées ou interdites en dernière instance». Or, «le mouvement syndical avec 18 Centrales a accusé d’une contre-performance qui est aussi historique que la taille des coalisés». Malick Ndiaye fait recours à la fameuse métaphore en géométrie : «la fameuse loi du parallélogramme des forces disant que lorsque les forces contraires tirent vers une des directions opposées, la résistance tend vers zéro et le résultat est nul». «Bancal» est donc le mouvement syndical comparé à celui des jeunes déguerpis, qui ont livré un film grandeur nature des «erreurs du pouvoir en matière de gestion des questions globales». Un pouvoir qui «s’est planté», les yeux rivés vers la préparation de l’Oci dans six mois, alors que les jeunes «priorisent» celle de la Tabaski dans cinq semaines. Seulement, pour Malick Ndiaye, «les syndicalistes n’ont pas su se faire entendre et ont cédé à la première grenade», là où ces jeunes «ont communiqué de façon plus intelligente». L’argent promis par Wade et distribué, en dehors de toute procédure légale, à raison de 13 à 23 millions selon les Centrales, à l’exception de l’Unsas et du Synpics, a plombé les ambitions des syndicats consacrant ainsi la «défaite morale de leurs dirigeants», révèle Malick Ndiaye. Cela «pourrait expliquer ce manque de cohérence».
Soro DIOP
Source : Le Quotidien, www.lequotidien.sn

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